Tour de France 2021: le choix du roi

Quelle chance chaque année d’arpenter la France pour en faire le Tour ! Mais toujours aussi difficile de sélectionner et encore plus de suivre de l’intérieur l’étape reine, à supposer d’ailleurs que nos gentils organisateurs ne l’aient pas déjà réservée à quelques VIP plus ou moins de pacotille, ministres en mal de notoriété ou célébrités du grand écran moribondes d’une année de Covid.

Choisir, c’est exclure, pensait Bergson… Et exclure, c’est regretter. Oui mais non ! Pour établir le palmarès des étapes, choisir, c’est surtout ne pas regretter et bien volontiers exclure quelques tracés moisis dans une quasi jouissance mystique. Un exemple : Vierzon – Le Creusot. Ca sonne comme horaire de la SNCF un jour de grève…
Brel avait raison :
T’as voulu voir Vierzon, et on a vu Vierzon, t’as voulu voir Vesoul, et on a vu Vesoul (ça, c’était l’an dernier !)…J’ai voulu voir Anvers, on a revu Hambourg, j’ai voulu voir ta sœur, et on a vu ta mère, comme toujours…
Bref, oublions d’office ces étapes en contreplaqué, légères comme l’air et insipides comme une tequila sans sunrise. Cherchons plutôt ces hauteurs d’où l’on domine la plaine, quand le vent du soir calme sa peine.
Petit rappel de géographie, utile en ces temps où l’école se fait désormais par écrans interposés, loin des cartes affichées dans nos vieilles classes, qui sentaient bon l’encre, le bois, la craie… A chaque édition et aux « quatre coins de l’Hexagone », le Tour, grimpe, traverse, franchit, esquive ou contourne nos massifs montagneux.
Cette année, ça commencera en Armorique. Au pays du biniou, du kouign amann et de la galette saucisse, les reliefs seront modestes, à l’image de ces roches granitiques usées par les vents et rabotées par le temps. Toiser la vallée, perché sur un menhir à Carnac, chercher les cimes entre hortensias en fleurs et la forêt de Paimpont, où plane toujours le souvenir de Merlin… Agréable en ce mois de juillet, mais somme toute moyennement sexy au thermomètre du climax absolu. Certes, on passera par Mûr de Bretagne, sorte de bosse qui fatigue sans conteste le cycliste local hydraté au chouchen mais qui ne laissera que peu de séquelles dans les organismes de nos vaillants fous de la pédale.

Quittons sans délai la Bretagne et ses chapeaux ronds pour les Alpes et ses vrais sommets, pour trois haltes au pays du génépi, les étapes 8, 9 et 10. La 10ème est déjà hors jeu, entre Albertville et Valence, traditionnelle liaison à s’endormir au volant, entre le souvenir des JO d’hiver pour le départ et le chant des cigales pour l’arrivée…
Il restera donc Oyonnax – Le Grand Bornand (8ème), belle étape, surtout sur les 50 derniers kilomètres, avec trois cols classés en première catégorie, dont le savoureux enchaînement col de Romme, redescente vers le Reposoir (le bien nommé !) et la dernière grimpette à plus de 1600 mètres vers un grand classique, la Colombière, déjà empruntée à 23 reprises depuis la fin de la guerre, la dernière fois en 2018 avec le passage en tête d’un certain…. Alaphilippe.
Mais malgré tout, l’étape majeure des Alpes sera la neuvième, entre Cluses et Tignes. Le départ sera donné d’un site sans le moindre intérêt, niché en fond de vallée encaissée, entre usines de décolletage, autoroute et voie ferrée ! 145 bornes de grimpette intégralement en Savoie et Haute-Savoie, au fil des stations de ski (Megève, Les Saisies, Tignes) avec de superbes paysages en prime. Et en cette belle journée promise, s’il fallait choisir un lieu plus qu’un autre, le Cormet de Roselend serait idéal pour y déguster une coupette de Champagne qui pique au cul d’une Skoda rutilante, avec pour toile de fond les eaux bleues du lac artificiel du Roselend.
Juste avant, en haut du Col des Saisies, le spectateur enthousiaste portera son regard du côté de la très rabelaisienne Piera Menta, imposant bloc rocheux typique en forme de dent posée sur la montagne. La légende veut que Gargantua, agacé par cette caillasse lui barrant la route, l’ait envoyée d’un coup de pied aussi puissant que rageur sur le massif du Beaufortin. La littérature parfois se rapproche du vélo, un peu comme si carpe et lapin convolaient en juste noces ! Et à propos de Beaufort, ne boudons pas notre plaisir et arrêtons nous un instant à la coopérative laitière, à gauche, juste après le rond point. Quelques marches à gravir et on y trouvera de quoi faire ripaille avec les produits locaux, et en premier lieu le fromage éponyme du site, régal pour les papilles et bien plus agréable en bouche que les amuse-gueule Sodexo du Village des gueux. A force de musarder, on en oublierait presque la course, et la dernière difficulté du jour, vers la station de Tignes.
C’est tout bon : on la tient, cette première étape à placer sur la plus haute marche du podium !

Désormais avec les Alpes dans la musette, le suiveur en mal de sensations fortes glissera naturellement vers le sud, le Vaucluse, ses champs de lavande aux couleurs délicates et céruléennes où le bleu se mêle au vert, à l’ombre du géant de Provence, le mont Chauve, le fameux Ventoux. A près de 2000 mètres d’altitude, cette verrue blanche posée entre maquis et vignes mérite le respect et abrite les plus belles légendes du Tour. Cette année, la Grande Boucle le gravira à deux reprises, pour le plaisir des amateurs de camping cars, rougis par le soleil dardant et le rosé local en intraveineuse. Malaucène, Bédouin, au pied de l’ascension, là où le cagnard et la verdure dense laissent progressivement la place à ce paysage lunaire, entre Chalet Reynard et le col des Tempêtes. 30 degrés en bas, à peine 8 en haut… L’invité néophyte n’oubliera pas sa petite laine pour profiter des sublimes plateaux repas de l’organisateur pour se requinquer. Et gare au vent, il risque de perdre son masque sous les rafales d’un Eole plus facétieux que nature.
Alors oui, même s’il ne résonne pas comme une pure étape de montagne, ce tracé entre Sorgues et Malaucène mérite sa place sur le podium, en deuxième position pour son originalité, la beauté du site et sa double ascension. Ce sera l’occasion pour le pilote VIP, ancien cycliste reconverti dans le cirage de pompes pour invités d’évoquer la mort de Tom Simpson, en 1967, tombé comme une mouche en pleine montée… La soif, la fatigue, les amphétamines auront eu raison du jeune homme… D’autres légendes s’y sont affrontées, heureusement sans y mourir, malgré les seringues encore fichées dans les bras des champions que seul le regard sagace du spécialiste aura pu déceler. Ainsi Marco Pantani, le Pirate et Lance Armstrong, la célèbre (et déchue) locomotive de l’US Postal auront, telles des mobylettes suralimentées, dompté le géant de Provence. Ici, les forçats de la route ont eu leur heure de gloire et mérité leurs galons, avec ou sans l’assistance de la chimie lourde !

Tout podium doit s’achever par un troisième, et c’est du côté des Pyrénées qu’il faudra se tourner pour le débusquer. Cinq étapes et un choix cornélien pour sortir du chapeau le Saint Graal…
Eliminons d’entrée Carcassonne – Quillan, entre les terres chauffées de l’Aude et la verdure de l’Ariège. Pour un coup d’essai, ce ne sera pas un coup de maître.
Arrêtons-nous du coté du 11 juillet, entre Céret et Andorre-la-Vieille. La montagne sera bien présente, avec quatre grimpettes, dont le Port d’Envalira et ses 11 bornes en montée à s’infuser. Belle étape, avec en prime une arrivée (et un jour de repos) au paradis des clopes à tarif réduit et des bouteilles de Ricard en solde. Pour remplir les coffres et les fourgons, ce sera la bonne adresse, pour y trouver le meilleur de la montagne, faites un vœu et passez quand même votre chemin.
Après la journée de repos, Pas de la Case – Saint-Gaudens, ou comment parler de montagne sans en avoir l’air. Une étape pour baroudeurs… Pas de quoi casser trois pattes à un Pogacar ou un Roglic. Next !
En ce 14 juillet, l’étape suivante, entre Muret et Saint-Lary-Soulan pourrait bien nous réserver quelques coups de pétard. Après 100 bornes simplement vallonnées, les reliefs prendront le dessus et le final sera digne des meilleurs grimpeurs. On commencera par le long et régulier col de Peyresourde (prononcez « péillleressourde », avec cette diphtongue sur la première syllabe qui donne tout son charme à l’accent du coin), avant de rejoindre la paisible et verdoyante vallée du côté de Loudenvielle, rampe de lancement vers le col de Val-Louron-Azet, avant d’en terminer avec le terrible col du Portet et ses 16 kilomètres à 9 % de moyenne. Ca laissera des traces… Spectacle assuré pour la course, mais aussi en bordure de route. On y verra drapeaux et cocardes en ce jour de Fête nationale et dans une ambiance Covid friendly, des jeunes avinés à la bière chaude rivaliser de déguisement pour attirer le regard des suiveurs et l’objectif des télévisions. Faute de mieux, on pourrait bien la garder, cette étape entre Muret et le col du Portet… A voir la suite. Ah, j’oubliais… Prenez votre mal en patience si vous voulez quitter le site rapidement après la course. Qui dit arrivée en altitude en après-midi dit bouchons assurés à l’heure de l’apéro !
Last but not least, le volet pyrénéen se refermera entre Pau et Luz Ardiden (prononcez « Lusssss », avec le « S » qui traîne et surtout pas « Luze », si vous ne voulez pas être noyé dans une soupière de garbure). Programme dense (avec les loups et avec l’ours Cannellito). Menu découverte, avec entrée, plat, dessert, café, pousse-café et cigare compris. Entre le Tourmalet et la montée vers Luz, plus de 30 kilomètres à s’infuser à près de 7,5 % de moyenne. Et les repas de fête peuvent vite tourner à l’indigestion. Mention spéciale bien sûr pour les amateurs de cimes et de légendes du Tour, le col du Tourmalet. Ca commencera par la traditionnelle histoire d’Eugène Christophe, alias le Vieux Gaulois, serrurier de formation, forgeant sa fourche cassée à Sainte-Marie-de-Campan en 1913. Après plusieurs kilomètres à pied, en portant son vélo sur le dos, il réparera seul sa monture à la forge du village, mais écopera dans la foulée une pénalité pour l’assistance d’un enfant l’aidant à percer le métal endommagé. Au passage dans le village, l’invité passionné et curieux jettera un œil (c’est une image) vers la majestueuse statue en bronze d’Eugène Christophe portant sa fourche brisée. Le Tour raffole des symboles. Il a érigé le dépôt de gerbe au rang d’art majeur et mélange avec succès la petite histoire des hommes avec celle qui s’écrit en lettres capitales.
Dans le crépitement de radio Tour, accompagné du vrombissement à haute teneur en carbone des directeurs sportifs et pour la soixantième fois depuis la fin des années 40, les coureurs commenceront l’interminable montée vers la station de la Mongie, avant les derniers lacets éprouvants et raides jusqu’à la bascule vers Barèges, à l’issue d’une vertigineuse descente à flanc de montagne, avec pour horizon un paysage grandiose et de toute beauté. Le final sonnera le glas pour les plus faibles, après 13 km de montée vers la station de Luz-Ardiden. Il en sera fini cette année des sommets classés Hors Catégorie.
Alors oui, il faut sans hésitation la placer sur le podium, cette dernière étape pyrénéenne, entre Pau et Luz, parce qu’elle fait la part belle aux sommets, aux légendes d’hier et d’aujourd’hui, et parce qu’elle est aussi et surtout la dernière qui permettra aux meilleurs de tutoyer le ciel.

La plaine reprendra ses droits dans la monotone et ombragée rectitude de la forêt landaise, avant de goûter aux joies du contre-la-montre, du côté de Saint-Emilion. Alors que les spécialistes du chronomètre lutteront âprement pour la gagne, le suiveur goguenard, un verre de bordeaux à la main et une fraise Tagada collée entre deux molaires, glosera à qui mieux-mieux sur le rachat des grands crus par les Chinois, qui préfèrent malgré tout le pangolin faisandé au raisin fermenté. Une dernière longue liaison vers la Capitale, histoire de laisser le Tour musarder de Chatou à Paris, jusqu’au traditionnel défilé sur les Champs-Elysées. Un ultime feulement de la Patrouille de France striant le ciel parisien et il sera temps, avec ou sans public, d’honorer les vainqueurs et de plaindre les vaincus, de se quitter dans une mélancolique accolade (n’en déplaise au Covid), de plier les gaules et de ranger le barnum jusqu’à l’an prochain. Finis les crêpes, le beurre de baratte et le vin de miel made in Bretagne… Place à Copenhague et ses douceurs locales imprononçables, avant de retrouver l’Espagne et Bilbao en 2023 !


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